“Mon Partenaire Est Un Grand Enfant”

La nostalgie des hommes pour leurs passions d'enfance n'est pas chose nouvelle et l'humour potache a toujours enchanté les garçons. Mais désormais, les héros de Star Wars et de Harry Potter côtoient les indétrônables de la bande dessinée et des séries cultes dans l'imaginaire masculin. Et pour la première fois, le phénomène atteint les dimensions d'une culture. Avec l'apparition, d'une nouvelle race de héros ni beaux, ni forts, ni intelligents, plus souvent bêtes, immatures, mal élevés (exemple : Brice de Nice)... Et d'une nouvelle rivale pour les femmes, la PlayStation, sur laquelle certains passent des nuits à exterminer des bandes new-yorkaises ou à jouer les pilotes de formule 1.

Il y a plus de dix ans, les sociologues révélaient un nouveau phénomène de société : une génération entière, les trentenaires d'alors, refusant de grandir et se vautrant dans les plaisirs régressifs pour oublier la dureté de la vie. Le phénomène, en fait, est aujourd'hui " transgénérationnel " et touche nombre de nos partenaires qui, avec leurs collec', leurs manies, leurs marottes, tentent de résister au temps qui passe. Comme si être adulte signifiait être vieux.

Cadres sup', employés, ouvriers, fonctionnaires... les hommes-enfants sont désormais partout, dans toutes les professions. Ils ont entre 25 et 45 ans, voire plus, et sévissent surtout à la maison, une fois débarrassés de leur tenue de ville. Une manière, sans doute, de compenser le stress quotidien, de créer une complicité entre pairs. Et paradoxalement, peut-être, de franchir un pas vers l'âge adulte.

Homme enfant : " On est arrivés à un stade où l'on ne fait plus grand-chose à deux. "



Le jour, Laurent travaille dans une usine d'alternateurs à Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais. Le soir, il se transforme en chevalier Jedi et devient Skarn, qui signe tous ses courriels d'un poétique : " Je ne suis qu'une feuille portée par le vent de la Force. " Membre du staff du site chúng tôi , Laurent, 28 ans, se rue sur son ordinateur dès qu'il rentre de l'usine, pour échanger des potins sur Star Wars avec d'autres mordus, répondre aux questions des novices, etc. A la consternation de Peggy, sa femme depuis un an, qui aimerait bien que Laurent/Skarn lui consacre un peu plus de temps à elle, mais aussi à leur fils, âgé de 3 ans, qu'il morigène parfois, tel maître Yoda à son jeune disciple, d'un impérial : " Tu apprendras à rester à la place qui est la tienne ".

Mon rêve ? Aller à la piscine en famille, par exemple, mais il a toujours à faire sur son site Internet.

Quand elle cherche à comprendre Laurent, Peggy remonte au tout petit garçon : " Il n'a pas eu une enfance très rigolote, avec une maman malade, qu'il a perdue jeune. J'ai l'impression qu'il s'offre aujourd'hui l'enfance qu'il n'a pas eue. Quand je le vois rejouer avec un copain les duels au sabre laser entre Darth Vador et son ancien maître, Obiwan Kenobi... comme des mômes de 10 ans, je me dis que, oui, vraiment, je suis mariée avec un grand bébé ! Cela dit, je préfère un compagnon qui collectionne les figurines Star Wars plutôt que les maîtresses. Au moins, c'est une passion qu'il vit à la maison ! ".

Homme enfant : " Moi, je sais qu'il mûrit, à sa façon "



" J'ai les sept boules de cristal de Dragon Ball Z ", confie Jean-Luc, les yeux brillants, comme d'autres vous glissent qu'ils se sont offert des mocassins Paul Smith en daim mauve. Dans sa maison près de Mont-de-Marsan, dans les Landes, Jean-Luc, 26 ans -Junta Monomami pour les intimes-, a aménagé une pièce pour y exposer des centaines de mangas, ces BD et dessins animés made in Japan, peuplés, entre autres, de filles aux hanches enfantines, aux immenses yeux innocents et à la poitrine de bimbo.

" Notre rencontre était prédestinée, s'amuse Elodie, sa femme. C'était il y a sept ans, dans un magasin de jeux vidéo où un ami nous avait donné rendez-vous. Jean-Luc s'intéressait déjà aux mangas, mais j'étais loin d'imaginer que, même marié, il continuerait de trouver son bonheur au milieu des figurines de Satan Petit-Cœur ou Tortue Géniale... " Un antidote color é au stress d'un métier où l'on ne rencontre que des endeuillés ? Elodie en doute : " Je crois que, comme beaucoup d'hommes qui ont gardé leur âme d'enfant, Jean-Luc a tendance à fuir les sujets qui fâchent et à se réfugier dans sa bulle, pour voir la vie en rose. "

Si Elodie a pris son parti de l'invasion des gashapons (figurines) dans son quotidien, elle estime que son accro de mangas pourrait, de temps en temps, bousculer ses priorités. " Le voir acheter une poupée de plus plutôt que des places de ciné, parfois, ça m'énerve. Cela dit, on ne s'engueule pas vraiment pour ça. Au fond, j'y trouve mon compte : pendant qu'il est dans ses mangas, j'ai une paix que m'envieraient peut-être bien des femmes ". Quid de l'influence des nipponeries sous la couette commune ? Elodie sourit : Jean-Luc/Junta ne " manganise " leur duo qu'en lui donnant du " ban chan ! " (marque de respect) - décli né en " ban chamour ", " ban chérie ", etc.

Les plus interloqués par la mangamania de Jean-Luc, ce sont encore ses beaux parents. " Ils se passionnent pour les télé crochets, note Elodie. Pour eux, regarder cette émission, c'est normal, légitime. Mais que Laurent fasse de même pour Dragon Ball Z ou Goldorak, ça les dépasse. Ma mère craint que, le jour où je serai maman à mon tour, je n'aie pas un, mais deux bébés à la maison. Cela dit, on peut bien prendre Jean-Luc pour le gamin de la famille. Moi, je sais qu'il mûrit, à sa façon ".

Homme enfant : " Je suis contente de retrouver cette légèreté à la maison "



Tu te rappelles la recette du gloubi-boulga, le plat préféré de Casimir ? Il faut mélanger de la confiture de fraises, de la moutarde, de la saucisse de Toulouse...- Et de la chantilly ! " Avoir regardé les mêmes émissions cultes (" L'Ile aux enfants "), séries télé, films et dessins animés, dans les années 80, ça rapproche.

C'est ainsi que Nathalie et Erwan, 38 ans, se sont rencontrés et " trouvés ", il y a neuf ans, lors d'un dîner chez des amis. " C'était attendrissant, cette nostalgie commune, se souvient Nathalie. On est tous de grands enfants, finalement. Et ça fait partie du charme d'Erwan. Mais il me battait sur ce terrain. La première fois que j'ai découvert sa collection d'Action Joe, sûrement l'une des plus importantes existant, je n'en suis pas revenue. "

Non seulement Erwan avait gardé tous ses jouets, mais il se rappelle quand et pourquoi on les lui avait offerts

Le gros défaut d'un grand enfant ? " Il ne jette rien, note Nathalie en souriant. Même les vieilles boîtes en carton Pizza Hut "Star Wars", lancées en 1999. Collectionner, c'est entasser. C'est embêtant quand on vit dans un petit appart' parisien. Moi, je balance discrètement. J'admire ses collec' en tout genre, mais je lutte pour préserver mon espace vital. " Grâce à son expertise en jouets, Erwan est devenu rédacteur en chef d'un magazine consacré aux jouets sous licence, séries télé et BD.

Et il a publié un livre consacré à son idole, Action Joe à l'occasion de ses... 40 ans. " Formidable, mais ça a quand même un peu bouffé notre vie de couple, confie Nathalie. Moi, je me lève très tôt et je bosse le week-end. Or, pendant des mois, Erwan rassemblait de la doc, écrivait dans notre maison de campagne... Et quand il cherchait une pièce rare jusqu'à pas d'heure sur Internet, alors là, oui, je faisais la tête ! "

L'un travaille au milieu des jouets, l'autre parmi les malades. Peuvent-ils encore se comprendre ? " Bien sûr, puisque chacun est passionné par son métier, constate Nathalie. Et puis je suis contente de retrouver cette légèreté à la maison. La passion d'Erwan m'a aussi permis de donner libre cours à la toute petite fille qui dormait en moi : j'ai une maison de poupée Playmobil, que je peins, décore et meuble. "

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